LE HÉROS NATURALISTE

Qu’est-ce que le naturalisme ?

Le mouvement naturaliste est né de l’influence de la médecine et des sciences expérimentales, concernant entre autres la psychologie.
Le Naturalisme peut être comparé au Réalisme, mais le Naturalisme renforce ou développe certains caractères du Réalisme. L’écrivain naturaliste vérifie expérimentalement dans ses romans le rôle des déterminismes sociaux et biologiques sur l’individu ou le groupe. Le Réalisme documentaire laisse donc sa place à l’expérimentation. Ainsi, le romancier invente une situation, il place le personnage chargé d’une lourde hérédité dans un milieu défini (ouvrier, mondain, etc.). Il se propose ensuite d’observer la situation et d’expliquer le comportement de son personnage avec une objectivité scientifique. Chaque roman (naturaliste) est donc une expérimentation nouvelle.
Le Naturalisme étudie l’hérédité et le milieu, le monde du travail, les paysages urbains et les tares physiques et psychiques. De plus, on note une place importante du monde ouvrier dans le Naturalisme, avec le thème du machinisme et la révolution industrielle.
Contexte de l’époque d’une façon non moins importante, il faut noter aussi que les changements sociaux et économiques amenés par le Second Empire ont des répercussions importantes dans la société et, partant, dans l’art et la littérature. En effet, la mécanisation accrue permet maintenant de produire plus et à meilleur marché. L’industrie se développe, en même temps que les infrastructures. C’est, en fait, le début de la société de consommation moderne. D’ailleurs, c’est à cette époque que les premiers grands magasins – les magasins à rayons – ouvrent leurs portes, sonnant le glas du petit commerce (c’est le sujet du roman Au bonheur des dames, d’Émile Zola). Le système bancaire aussi est en plein essor. Cette révolution industrielle amène l’accélération de l’ascension sociale de la bourgeoisie aisée, et des fortunes considérables s’édifient. La tendance au matérialisme se généralise dans la société.Enfin, la place grandissante que prend la science au détriment de la littérature dans la seconde moitié du XIXe siècle ne peut être passée sous silence. Le positivisme se répand dans la société. Le positivisme est une doctrine philosophique et scientifique selon laquelle le monde n’est connaissable que par l’expérience, l’expérimentation. Le matérialisme grandissant a entraîné un scepticisme assez généralisé.

Qualités du héros naturaliste

On retrouve dans chez le héros naturaliste les mêmes caractères que chez le héros réaliste.

Nana, Emile Zola, 1880.

Nana a échappé à la vie qui lui était destinée : celle des filles de la rue de la Goutte d’Or. Engagée par sa tante pour réaliser des fleurs artificielles, elle s’enfuit au bras d’un homme de cinquante ans pour le quitter peu de temps après. Elle commence alors une vie d’artiste de théâtre.
Elle débute sa carrière avec une interprétation de la Blonde Vénus. Ce n’est pas son talent, qu’elle n’a pas, qui attire et séduit le public, mais son audace et son physique. C’est alors que Nana voit un défilé de prétendants dans son appartement. Celui qui paie le plus chèrement sa passion pour Nana est le comte Muffat de Beuville. Ayant accompagné le Prince de Galles dans ses distractions parisiennes, il se rend aux Variétés où se joue la pièce et rencontre Nana dans sa loge où elle les reçoit à demi nue. Cette nudité le trouble profondément et l’émeut : il n’a plus qu’une envie, celle de la posséder.
Nana lui cède facilement mais c’est lui qui devient son objet. Elle s’amuse de lui et finit par l’abandonner. Elle le remplace par un comédien, Fontan, un homme violent qui n’hésite pas à la battre. Nana cherche alors le réconfort dans les bras de Satin, une « actrice » comme elle. Malheureusement Satin est arrêtée par les gendarmes, ce qui pousse Nana a abandonné Fontan et à retourner sur la scène avec l’interprétation de la Petite Duchesse qui lui a acheté Muffat. C’est un échec et cela met un terme à sa carrière.
N’abandonnant pas, Nana décide de devenir « reine du demi-monde ». Elle s’installe alors dans un hôtel rempli de tout un amas d’objets et adopte une vie de grand luxe : chevaux, voitures, serviteurs… grâce à la générosité de Muffat.
Cette nouvelle vie ne satisfaisant pas Nana, elle décide de vendre tout ce qui lui appartient et de disparaître, pour revenir quand l’argent lui manque. Cependant cette fois personne n’est là pour l’aider. En allant voir son fils, Louis qui est atteint de la petite vérole, elle contracte la maladie et meurt en se décomposant.

Lecture :
Elle partit, elle ferma la porte. Nana restait seule, la face en l’air, dans la clarté de la bougie. C’était un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un coussin. Les pustules avaient envahi la figure entière, un bouton touchant l’autre ; et, flétries, affaissées, d’un aspect grisâtre de boue, elles semblaient déjà une moisissure de la terre, sur cette bouillie informe, où l’on ne retrouvait plus les traits. Un œil, celui de gauche, avait complètement sombré dans le bouillonnement de la purulence ; l’autre, à demi ouvert, s’enfonçait, comme un trou noir et gâté. Le nez suppurait encore. Toute une croûte rougeâtre partait d’une joue, envahissait la bouche, qu’elle tirait dans un rire abominable. Et, sur ce masque horrible et grotesque du néant, les cheveux, les beaux cheveux, gardant leur flambée de soleil, coulaient en un ruissellement d’or. Vénus se décomposait. Il semblait que le virus pris par elle dans les ruisseaux, sur les charognes tolérées, ce ferment dont elle avait empoisonné un peuple, venait de lui remonter au visage et l’avait pourri.
La chambre était vide. Un grand souffle désespéré monta du boulevard et gonfla le rideau.
A Berlin ! à Berlin ! à Berlin !
Chapitre XIV, explicit de Nana, page 474, « Elles sortaient vivement… » à la fin.

Observations du film de Jean Renoir (extrait vidéo)

Le film de Renoir reste fidèle à l’adaptation de l’œuvre classique d’Emile Zola, Nana. Dans ce film muet, les acteurs réussissent à faire passer leurs émotions et leurs ressenties par la gestuel et non par la parole. Les acteurs sont habités et dégagent une sensation étrange. Les décores très soignés sont les mêmes que ceux décrit par Zola. La douleur et la souffrance de Nana sont illustrés lorsqu’elle agrippe fermement son mari (1:00 jusqu’à 1:30).La mort de Nana est symbolisée ici par la chute du bout de tissu puis par les lumières du lustre qui s’éteignent (1:31 puis 1:35).
http://www.dailymotion.com/video/x72e19_alternate-ending-nana-jean-renoir-1_shortfilms

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Chapitre XIV, explicit de Nana, page 474, « Elles sortaient vivement… » à la fin.
Zola dans Nana, retrace l’ascension d’Anna Coupeau, fille de Gervaise Macquart et de Coupeau, dont le surnom donne son titre au livre. Ainsi le roman va dépendre de ce personnage éponyme, le suivre et l’accompagner, de son premier triomphe théâtral qui ouvre le premier chapitre, à sa conquête de la société par l’utilisation de ses amants, et à sa mort qui termine symboliquement l’ouvrage. Le passage étudié est un extrait du dernier chapitre, donc de l’explicit du roman, débuté sur la disparition provisoire de Nana, annonce nouvelle de sa disparition proche et définitive. La jeune femme, dont l’absence s’entoure de mystère, revient à Paris et assiste à la mort de son enfant, avant d’être emportée à son tour par la même maladie dans une chambre d’hôtel, veillée par son ancienne rivale, Rose Mignon. Elle est annoncée morte au début de notre passage, alors que dehors la foule se mobilise et prépare la guerre contre les Prussiens. Dans ce chapitre se mêlent les cris des Parisiens et les remarques et conversations des personnes qui ont connu Nana, c’est-à-dire que l’histoire du personnage éponyme se mêle à l’Histoire représentée par la guerre franco-prussienne de 1870. Or, à la disparition de Nana va succéder aussitôt la disparition du Second Empire, le conflit se terminant par la défaite de Napoléon III, et l’instauration de la troisième république. Ainsi, le livre retrace et accompagne certes la vie de Nana, mais aussi celle du Second Empire, dont Nana devient alors le symbole puisque la mort de l’une entraîne celle de l’autre, c’est-à-dire que l’histoire de Nana entraîne l’Histoire du Second Empire.
Il s’agira alors de voir comment la fin de Nana renferme celle d’une personne mais aussi celle d’une société, d’un monde entier, comment elle est programmatrice et symbolique, comment le naturalisme de Zola lie un personnage à la fois dans son hérédité génétique mais aussi dans une hérédité sociale.
Ses paroles rapportées directement, répétées à maintes reprises, tout comme est répété leur contenu (« elle est changée, elle est changée ») soulignent à la fois l’émotion et l’étonnement (l’interjection « ah !, mais aussi le nouvel état du personnage et la rupture créée avec la personne d’avant l’ellipse temporelle (« la dernière fois que je l’ai vue, c’était à la Gaité dans la grotte » p.468). De même la forme passive (« est changée ») souligne le statut nouveau de Nana, victime de la maladie (« vérole »), dépossédée.
La description d’un cadavre en putréfaction : « Ce fut une horreur. »
Isotopies de la mort (« charnier », « jetée », « flétries », « sombré »…) et de la pourriture (« moisissure », « purulence », « pustules », « pourri »…), qui concourent au réalisme du discours descriptif, appuyé en cela par le champ lexical scientifique de la médecine (« virus », « humeur », « sang », « purulences »…).
– « C’était un charnier… » : Métaphore, juxtaposition, valeur du présentatif
Nana est méconnaissable
– Cependant cette description est en même temps repoussée, rendue impossible (« on ne retrouvait plus les traits »), indéterminée et indéfinie (cf les déterminants indéfinis et le vocabulaire général : « un charnier », « un bouton », « cette bouillie », « un trou », « une croûte », « une pelletée », « un aspect »…), Nana disparaissant, comme on l’a vu avec l’utilisation du passif, sous la maladie.
– « Les pustules avaient envahi… »
– Rôle des synecdoques
– Comparer avec le chapitre I, et voir que toutes les armes de séduction de Nana sont réduites à néant.

– La comparaison « comme un masque horrible et grotesque » souligne cet effacement définitif de la personne, en même temps qu’il rappelle et ouvre la thématique du théâtre, en écho à son rôle du début du livre dans la pièce de théâtre La Blonde Vénus. Ainsi, de la Nana connue, seuls demeurent, en opposition au changement, à la maladie, les symboles de sa vie passée : le rôle de Vénus, les cheveux de la séduction. Ils ressortent d’ailleurs d’autant plus nettement que les champs lexicaux du sombre, lié à la maladie, et de la lumière, lié à la vie passée, entrent en conflit : « boue », « grisâtre », « sombré », « noir » vs « flambée », « soleil », « or ».
– C’est d’ailleurs de nouveau symboliquement et en référence à ce monde du jeu que Lucy au moment de partir « tira un rideau », mettant un terme à la représentation. Nana disparaît dans le monde du théâtre qui l’a créée (chapitre 1) et qui maintenant l’efface, comme s’efface le désir des hommes auquel pourtant elle reste toujours liée.
Le roman de Zola dresse donc le portrait de la société finissante de Napoléon III dont Nana est une figure symbolique, et qui va symboliquement s’achever avec sa mort. En effet, la guerre de 1870 dont l’annonce termine le roman, va marquer la fin du Second Empire. Napoléon III, défait à Sedan, s’enfuit, laissant place à la naissance d’une nouvelle République, la Troisième.
Fin d’un personnage et fin d’un roman, mais aussi fin d’un monde et d’une société, l’explicit de Nana apparaît polysémique et symbolique, entrelaçant l’histoire, la destinée d’une femme, et l’Histoire d’une époque. A travers sa théorie naturaliste, Zola construit une œuvre expérimentale, dans laquelle l’observation des faits (la mort de Nana) offre un miroir à la société, responsable des maux et ici de sa propre faillite. Le passage qui faisait l’admiration de Flaubert n’est pas sans évoquer, jusque dans l’ellipse temporelle finale, un de ses propres livres, L’éducation sentimentale, qui relate de la même façon la trajectoire et les échecs de l’histoire du personnage principal et de l’Histoire.

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